Le coup d’État en cours aux États-Unis via l’appropriation de l’administration publique par un chef d’entreprise affirmant son pouvoir arbitraire et personnel.
Pour le moment, le coup réussit et la constitution est piétinée. Le droit est remplacé par la domination illégale d’un privé qui n’a pas besoin de rendre des comptes.
Ce coup, dans lequel se mêlent délires idéologiques, ivresse autocratique, prédation oligarchique et fureur vengeresse, tend un miroir à tous ceux qui ont passé les dernières années à présenter le « totalitarisme woke » comme le grand danger du moment, en occultant ainsi les processus de fascisation qui prennent aux USA la figure du trumpisme et en Europe la figure de l'orbanisme (qui fournit un modèle à toutes les extrêmes droites en passe de prendre le pouvoir un peu partout).
Trump et Musk disent la vérité des discours antiwokes (dont Musk a été un des hérauts, lui qui disait à un moment que les défenseurs de l'Ukraine voulaient une guerre mondiale woke): ceux-ci se réalisent dans la censure massive, l'illégalisme, la violation des droits, les révocations arbitraires — et plus simplement le règne du père Ubu.
Quand une grande partie des élites libérales et conservatrices, dans les années 1930, ont jeté par-dessus bord leurs propres idées pour accepter des régimes fascistes, la peur du bolchévisme qui les motivait visait du moins des réalités: le régime stalinien était un Etat totalitaire sanglant et il était légitime de le tenir pour un terrible danger; et quand le sacrifice des idéaux était mené par un intérêt de classe, ce qui motivait la panique était la perspective d'une nationalisation des moyens de production et d'une expropriation généralisée.
Mais aujourd'hui, quand une grande partie des élites libérales et conservatrices glisse vers l'extrême droite, quel est le danger auquel elles réagissent ?
D'une part, elles ont peur du « wokisme », c'est-à-dire de phénomènes largement fantasmés et minoritaires.
D'autre part, elles sont terrifiées à l'idée qu'on pourrait augmenter de 1% la taxation des grandes fortunes. Ou qu'on pourrait prendre des mesures pour éviter la catastrophe climatique vers laquelle nous fonçons, et dont le coût économique sera in fine monstrueux.
Ce spectacle ajoute à la tragédie un élément de farce — qui ne change strictement rien à la gravité de la tragédie. (N'oublions pas que lorsque Marx parlait de la tragédie de l'histoire qui se répète en farce, la farce était horriblement sanglante.)